ANALYSE DE LA LETTRE DE MANDAT D’IMMIGRATION, RÉFUGIÉES ET CITOYENNETÉ CANADA (IRCC)

Le 6 décembre 2021, le Premier ministre Justin Trudeau a remis ses lettres de mandat ministériel aux ministres de son Cabinet. Les lettres de mandat du gouvernement ont été introduites pour la première fois en 2015 dans le but d’accroître la transparence et la responsabilité en soulignant les principaux objectifs que le gouvernement attend de chaque ministre au cours de son mandat. Dans l’ensemble, la lettre de mandat de 2021 offre un regard optimiste quant à la migration économique destinée à favoriser la relance de l’économie canadienne. Bien que la lettre de mandat ne porte pas explicitement sur le secteur de l’établissement et de l’intégration du Canada, les politiques qui y sont énoncées, étant donné la hausse des cibles d’immigration, auront une incidence directe sur les agences de service aux nouveaux arrivants. Les objectifs énoncés dans la lettre sont prometteurs pour l’amélioration de l’expérience des nouveaux arrivants et l’atteinte des cibles d’immigration. Le présent mémoire a pour but de fournir une analyse des priorités définies pour le ministre de l’Immigration, Réfugiées et Citoyenneté Canada (IRCC), M. Sean Fraser, et de ce qu’elles signifient pour le secteur de l’établissement et de l’intégration en Alberta, dans l’espoir de susciter une discussion et une réflexion plus approfondie afin de faciliter les possibilités d’améliorer l’établissement et l’intégration des réfugiés, des immigrants et des autres migrants au Canada.

PRINCIPALES PRIORITÉS IDENTIFIÉES

AUGMENTER LES NIVEAUX D’IMMIGRATION POUR LA CROISSANCE ÉCONOMIQUE

La lettre de mandat insiste sur la hausse des niveaux d’immigration afin d’atteindre les cibles établies dans le Plan des niveaux d’immigration 2021-2023 du CIMM publié en 2020. Le Plan des niveaux d’immigration établit une trajectoire d’augmentation des niveaux d’immigration, dans laquelle 60 % des admissions prévues devraient concerner les catégories économiques. Le ministre Sean Fraser a également indiqué que le gouvernement augmenterait vraisemblablement ces cibles si cela s’avérait nécessaire, afin de combler les pénuries de main-d’œuvre. Pour combler les lacunes et les pénuries de main-d’œuvre, la lettre de mandat fait allusion à des programmes auxquels une plus grande attention sera accordée, notamment le système Entrée express, le programme fédéral des travailleurs hautement qualifiés, les programmes provinciaux d’immigration économique, et d’autres programmes pilotes d’immigration économique axés sur des populations spécifiques de nouveaux arrivants. Le système Entrée express, en particulier, pourrait offrir aux étudiants internationaux et aux travailleurs étrangers temporaires davantage de possibilités pour entrer et travailler au Canada, en fonction des besoins en main-d’œuvre de l’Alberta. Cependant, il n’est pas certain qu’il y aura une réduction totale des autres voies d’accès pour les éventuels nouveaux arrivants. Par exemple, la refonte de la Classification nationale des professions (CNP) d’Emploi et développement social Canada (EDSC), réalisée en collaboration avec l’IRCC et qui sera adoptée à l’automne 2022, risque d’avoir des répercussions sur les programmes d’immigration économique. L’IRCC et les provinces et territoires se servent de la structure de la CNP pour la gestion des programmes de résidence temporaire et permanente. La refonte de la CNP pourrait affecter la reclassification des professions admissibles qui pourraient ne plus donner droit à une demande de résidence permanente dans le cadre d’Entrée Express.

Afin de poursuivre la croissance économique et répondre aux pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs, plus particulièrement celui des soins de santé, la lettre de mandat s’engage à miser sur le Projet pilote sur la voie d’accès à la mobilité économique. Lancé en avril 2018, il examine la mesure dans laquelle les réfugiés peuvent accéder aux voies d’accès de l’immigration économique et documente les défis qu’ils doivent relever pour y parvenir. Par le biais de ce programme, le gouvernement s’engage, dans le cadre de programmes économiques provinciaux ou fédéraux, à accueillir 2 000 réfugiés qualifiés pour combler les pénuries de main-d’œuvre. D’autres initiatives visant à renforcer l’immigration au Canada seront lancées en élargissant le Programme pilote d’immigration dans les régions rurales et nordiques et en allant de l’avant avec le Programme des candidats des municipalités et le Programme d’immigration au Canada Atlantique, désormais permanent. Bien que le gouvernement ait affirmé son engagement à travailler avec les provinces pour mieux reconnaître les titres de compétences étrangers, il est difficile de savoir ce que cela signifie. Cela dit, cet engagement pourrait possiblement se rapporter au Cadre pancanadien pour l’évaluation et la reconnaissance des qualifications professionnelles acquises à l’étranger afin de combler les lacunes actuelles qui empêchent la reconnaissance des qualifications des immigrants sur le marché du travail. Grâce à ces approches communautaires, le gouvernement espère donner plus de souplesse aux provinces pour adapter l’immigration à leurs réalités économiques.

En se concentrant davantage sur la hausse des niveaux d’immigration comme moteur de la croissance et relance économiques, le secteur de l’établissement et de l’intégration peut s’attendre à voir un plus grand nombre d’immigrants économiques. Toutefois, étant donné que le Canada continue à composer avec des restrictions en matière de frontières et de voyages, l’atteinte de ces objectifs pourrait se révéler difficile. Le ministre Sean Fraser devrait déposer le 10 février 2022 le Plan des niveaux d’immigration 2022-2024, qui précisera les cibles visées et les programmes auxquels une plus grande importance sera accordée.

TRAITER LE TEMPS DE TRAITEMENT DES DEMANDES

La lettre de mandat propose de réduire les délais de traitement des demandes en raison de l’arriéré actuel de 1,8 million de demandes d’immigration, causé à la fois par la pandémie de COVID-19 et le transfert de ressources pour aider les initiatives de réinstallation des Afghans. La Mise à jour économique et budgétaire 2021 révèle que le gouvernement propose d’investir 85 millions de dollars en 2022 – 23 afin de pouvoir traiter plus de demandes de résidence permanente (RP) et de résidence temporaire (RT), et réduire les délais de traitement. Il est probable que le gouvernement investisse davantage dans les ressources humaines (c’est-à-dire en ajoutant des effectifs supplémentaires pour le traitement des demandes) afin d’accélérer le processus pour les résidents permanents qui contribuent déjà à la société canadienne.

PRIORITÉS DE RÉINSTALLATION DES AFGHANS

Le Canada s’est engagé à réinstaller 40 000 réfugiés et Afghans vulnérables, dont bon nombre sont des femmes, des enfants, des personnes LGBTI, des minorités ethniques et religieuses fuyant les talibans, des journalistes et des personnes qui ont soutenu le Canada et ses alliés au cours de deux dernières décennies. Cette cible de réinstallation est conforme aux 44 620 réfugiés syriens accueillis au Canada depuis 2015. Par conséquent, à partir de 2021 – 2022, le gouvernement propose d’investir 1,3 milliard de dollars sur les six prochaines années et 66,6 millions de dollars au cours des années suivantes pour réinstaller les ressortissants afghans et leurs familles dans le cadre de programmes spéciaux d’immigration, d’aide humanitaire et de réunification familiale. Les retombées de cet investissement commencent à se faire sentir alors que 35 millions de dollars ont servi à améliorer l’accès aux services de soutien dans les petites villes et les communautés rurales. De ce montant, 21 millions de dollars seront consacrés à neuf nouveaux fournisseurs de services du Programme d’aide à la réinstallation (PAR), dont deux sont situés en Alberta. En outre, 14 millions de dollars serviront à renforcer la gestion de cas francophone pour 14 fournisseurs de service existant afin d’aider plus de nouveaux arrivants vulnérables. Comme nous l’avons indiqué précédemment, bien que le traitement actuel des demandes soit long, nous espérons que les sommes investies pour soutenir la réinstallation des Afghans augmenteront la capacité du gouvernement à traiter rapidement les demandes afin d’assurer la sécurité de plus d’Afghans.

ÉLARGISSEMENT DU NOUVEAU VOLET DÉDIÉ AUX DÉFENSEURS DES DROITS DE LA PERSONNE

Le nouveau volet de réfugiés pour les défenseurs des droits de la personne du Programme des réfugiés parrainés par le gouvernement du Canada (RPG) a été développé en réponse aux réfugiés en danger et qui fuient leur pays d’origine. Lorsque le gouvernement a annoncé ce nouveau volet, il se proposait de réinstaller chaque année jusqu’à 250 défenseurs des droits de la personne, y compris les membres de leur famille. Dans la nouvelle lettre de mandat, le gouvernement note une expansion du programme, ce qui indique que davantage de défenseurs des droits de la personne seront réinstallés au Canada. Ce nouveau volet fait du Canada, l’un des premiers pays à offrir une voie d’accès dédiée et permanente aux défenseurs des droits de la personne. Grâce à cet investissement, 252 réfugiés afghans sont arrivés en Alberta, dont 170 ont été admis sous ce programme spécial pour les défenseurs des droits de la personne.

AUTRES CHANGEMENTS PERTINENTS PRÉVUS :

  • Élimination des frais de demande de citoyenneté pour les RPs : Dans le cadre de la priorité électorale de 2019 du gouvernement, les RPs peuvent s’attendre à être dispensés des frais de demande de citoyenneté. Les frais de demande de citoyenneté s’élèvent actuellement à 630 $ pour les adultes et à 100 $ pour les mineurs.
  • Réunification familiales et demandes électroniques : Un nouveau programme d’octroi du statut de résident temporaire aux conjoints et aux enfants à l’étranger pendant qu’ils attendent le traitement de leur demande de résidence permanente sera mis en place pour améliorer le regroupement familial. En outre, de manière à réduire les temps de traitement des demandes pour les conjoints et à en augmenter l’efficacité, celles-ci se feront par voie électronique.
  • Priorités de l’immigration francophone : L’IRCC continuera de travailler avec le Québec pour mettre en œuvre « une stratégie nationale ambitieuse » visant à soutenir l’immigration francophone à travers le pays dans le but d’atteindre une cible de 4,4 % d’immigrants francophonesà l’extérieur de la province du Québec d’ici 2023. Cela pourrait signifier une plus forte immigration de personnes maîtrisant le français dans un éventail de professions et de niveaux de compétences.
  • Régulariser le statut des travailleurs sans papiers : Même si les détails de cette voie d’accès ne sont pas encore clairs, des initiatives antérieures, telles que le programme de la voie d’accès de la RT à la RP en 2021, suggèrent que le gouvernement pourrait mettre en place une voie similaire qui permettrait aux travailleurs sans papiers au Canada d’obtenir la résidence temporaire ou permanente. Le gouvernement planifie de « prendre appui sur les programmes pilotes existants » tels que le Programme pilote pour les travailleurs de la construction sans papiers qui laisse supposer qu’il y a jusqu’à 500 000 travailleurs sans papiers au Canada, dont la moitié vit dans la région du Grand Toronto. Bien que cette voie soit intéressante pour les travailleurs sans papiers qui se trouvent déjà au Canada, il est impératif de veiller à ne pas accroître la vulnérabilité des personnes qui ne sont pas au pays, mais qui espèrent y entrer pour obtenir le statut de RT ou de RP.
  • Changements relatifs aux employeurs – Système d’employeur de confiance : Dans le cadre de son programme politique, le gouvernement s’est engagé à établir un système d’employeur de confiance pour les entreprises canadiennes embauchant des travailleurs étrangers temporaires (TET) pour combler les pénuries de main-d’œuvre. Le gouvernement améliorera le Volet des talents mondiaux du Programme des TET pour simplifier le renouvellement des permis et respecter le délai de traitement de deux semaines. Il prévoit également de créer une ligne d’assistance pour les employeurs.
  • Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) : Un engagement pris pour « moderniser » l’ETPS. La Cour d’appel fédérale a accueilli l’appel du gouvernement du Canada contre la décision de juillet 2020 de la Cour fédérale selon laquelle l’ETPS est inconstitutionnelle. En conséquence, l’application de l’ETPS reste en vigueur.

QU’EST-CE QUI NE FIGURE PAS DANS LE MANDAT?

  • Réponses aux lacunes du Programme fédéral de santé intérimaire (PFSI) :Entre 2012 et 2016, plusieurs changements ont été apportés au PFSI, mais celui-ci est maintenant revenu au format de 2012. Toutefois, le PFSI comporte des lacunes qui retardent ou empêchent l’accès aux services de santé. Par exemple, on constate une méconnaissance du programme, car aucune information claire n’est donnée sur la manière d’accéder au PFSI et l’information fournie manque de cohérence. Le programme présente également d’autres difficultés, notamment des lacunes dans sa couverture, des obstacles à l’accès aux soins de santé pour ses bénéficiaires et des contraintes administratives pour les fournisseurs de ses services (Chen, 2021).
  • Protection des travailleurs migrants: La lettre de mandat n’a pas mis l’accent sur les efforts concertés visant à protéger les travailleurs migrants contre l’exploitation et à améliorer leurs expériences. Dans le cadre du Programme des travailleurs étrangers temporaires, le gouvernement fédéral peut fournir des services pour l’intégration des résidents temporaires aux TET et revoir les accords fédéraux-provinciaux avec les provinces afin de financer un système fédéral-provincial de suivi et de défense des TET proactif et efficace. Cela garantirait que les employeurs et les TET sont informés des règlements, que les employeurs sont contrôlés et que les TET ont un accès équitable aux protections des travailleurs (AAISA 2022).
  • Engagement à répondre aux appels à l’action de la Commission de vérité et réconciliation (CVR) : En raison du colonialisme, le système d’immigration canadien continue d’avoir des répercussions sur les peuples autochtones. La lettre de mandat reconnaît que le ministre a le devoir de faire progresser le travail de réconciliation en mettant en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones et de travailler en partenariat avec les Autochtones pour faire reconnaître leurs droits, mais elle ne précise pas les actions spécifiques qui répondraient aux appels à l’action de la CVR. Plus spécifiquement, l’appel à l’action 93 de la CVR qui demande au gouvernement « d’examiner […] la trousse d’information pour les nouveaux arrivants au Canada et l’examen de citoyenneté afin que l’histoire relatée reflète davantage la diversité des peuples autochtones du Canada, y compris au moyen d’information sur les traités et sur l’histoire des pensionnats. » Depuis 2017, le gouvernement a annoncé son partenariat avec l’Assemblée des Premières Nations et des discussions ont eu lieu, mais des résultats concrets se font encore attendre.
  • Engagement envers les nouveaux arrivant et les agences offrant des services aux nouveaux arrivants confrontés aux crimes haineux, au racisme et à la xénophobie : L’IRCC a récemment commandé et reçu une étude interne du ministère qui a révélé un racisme flagrant au sein de l’IRCC, en particulier parmi les employés noirs et racialisés du ministère. Le nombre de crimes haineux déclarés par la police au Canada a également connu une forte hausse de 37 % en 2020. Il s’agit du plus grand nombre de crimes haineux déclarés par la police depuis que des données comparables sont devenues disponibles en 2009 (Statistique Canada, 2021). Pour lutter contre le racisme et la xénophobie et éliminer ces obstacles à l’intégration des nouveaux arrivants, l’IRCC et les agences doivent prendre des mesures et des engagements concrets. Plus d’investissements sont nécessaires dans le secteur pour accroître la capacité des agences à lutter contre le racisme et la xénophobie au sein de leurs communautés par l’éducation et la sensibilisation.
  • Retards persistants dans les demandes de statut de réfugié à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) :En 2020, la CISR avait plus de 90 000 demandes d’asile en instance. L’augmentation des investissements pour gérer le nombre croissant de demandes a permis à la CISR de finaliser des demandes d’asile. Toutefois, le nombre croissant de demandes d’asile dépasse la capacité de traitement financée de la CISR (CISR, 2021). Un financement continu destiné à augmenter la capacité de la CISR afin de faire face à la croissance de l’arriéré ne figure pas parmi les engagements présentés dans la lettre de manda, mais sera un défi qui nécessitera plus d’attention de la part du gouvernement.